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L'art olmèque
| texte Caterina Magni | site PRECOLOMBIEN


Les artistes olmèques s’illustrent aussi bien dans le travail de l’argile, de la pierre et du bois. Par ailleurs, la découverte de peintures rupestres, montre l’hétérogénéité de leur production. Une approche schématique de la création artistique conduit à la distinction entre art monumental et art mineur :

  • le premier comprend toute œuvre de grande taille qu’elle soit sculptée en ronde-bosse, en haut et bas relief, gravée ou peinte comme les têtes colossales, statues, autels-trônes, stèles, dalles, pétroglyphes, mosaïques (que l’on qualifie d’offrandes massives) et peintures pariétales.
  • le second regroupe tous les objets de petite dimension, en pierre et en terre cuite, travaillés en volume, en haut et bas relief ou finement incisés/excisés comme les statuettes, haches, masques, pendeloques, bijoux, récipients, etc.
Parmi les matériaux de prédilection de l’art colossal, signalons le basalte et l’andésite, et pour l’art mobilier le jade-jadéite, la serpentine et l’obsidienne.

Au niveau iconographique, si quelques scènes de l’art olmèque reflètent manifestement la “pensée mythique” et d’autres décrivent sans ambiguïté des rites, certaines renvoient simultanément au mythe et au rite, ou se placent à la charnière du domaine mythologique et du champ cérémoniel. Imagerie qui se double volontiers de la volonté d’affirmer le pouvoir. Nous pouvons “idéalement” définir trois grandes typologies, non exclusives et caractérisées par une expression figurative et/ou codifiée.
  1. Les représentations de nature franchement mythique, qui le plus fréquemment ne constituent qu’une séquence d’une narration mythologique plus vaste que l’on peut qualifier de mythographique.
  2. Les représentations de nature franchement rituelle, qui s’attachent à transcrire de manière fragmentaire la réalité d’un cérémoniel.
  3. L’art “socio-historique”, qui peut en l’occurrence utiliser des éléments du mythe pour signifier ou légitimer un pouvoir, une position sociale.

Au niveau de l’iconographie, la figure humaine constitue le thème principal de l’art olmèque. À titre indicatif, notons que le catalogue d’œuvres monumentales de Beatriz de La Fuente (1973) comporte 206 pièces, dont 110 représentent des personnages anthropomorphes. Les œuvres animalières ne viennent qu’en troisième position, après les figures hybrides, parmi lesquelles l’homme-jaguar prédomine.
La figure olmèque peut être anthropomorphe, hybride ou zoomorphe.
  1. En ce qui concerne la figure humaine, on distingue trois catégories : les figures féminines, celles masculines et les personnages asexués. Les figures féminines, modelées en argile, sont récurrentes, mais elles ne caractérisent pas la production olmèque à proprement parler. Dans l’art lapidaire tardif, mineur et monumental, leur nombre décroît. Cependant, l’image de la femme continue à être présente, mais sous forme métaphorique. Elle se cristallise dans l’image de la grotte et de la faille chthonienne ; les entrailles terrestres étant comparables à l’appareil reproducteur féminin. De surcroît, attirons l’attention sur tout un corpus d’œuvres d’art, où l’homme affecte une attitude propre à la femme. Songeons, par exemple, au thème de la présentation de l'enfant, où la figure masculine porte sur ses genoux un bébé-jaguar. Il serait donc plus exact de reconnaître dans cette apparente lacune, un transfert de l’image qui s’opère au niveau symbolique. Les figures masculines, du moins celles reconnaissables sans aucune équivoque, sont rares. Restent les figures asexués, majoritaires, qui semblent répondre à des conventions esthétiques et/ou idéologiques. L’absence significative de l’indication des seins, une corpulence et des traits de visage apparemment masculins contribuent à y reconnaître des hommes. Qui plus est, certaines statuettes portent une barbe ou sont habillées d’un pagne (maxtlatl).
  2. Pour la figure hybride, l’imagerie olmèque fait état de degrés différents de la relation homme-animal, mais ne dresse un tableau complet et exhaustif qu’avec la figure du jaguar. C’est ainsi qu’elle dépeint des situations que nous qualifions “d’extrêmes” (alliance/parenté et antagonisme) et “d’intermédiaires” (identification, métamorphose, échange d’apparence au moyen du déguisement). Ces manifestations artistiques suggèrent une exploration systématique de la relation homme-jaguar et de sa réciproque. Dans cette optique, l’image du were-jaguar (où les traits anthropomorphes et zoomorphes s’entremêlent savamment) constitue un parfait exemple.
  3. Dans un art imprégné d’animalité, il est surprenant de constater la rareté des représentations purement animalières. Dans cette catégorie, la place d’honneur revient encore une fois au félin, puis plus loin, à d’autres grands prédateurs comme le serpent et l’aigle. Les proies (cerfs, singes et autres petits mammifères) sont minoritaires par rapport aux prédateurs/carnassiers. Au-delà des représentations zoomorphes naturalistes, on observe la propension à l’hybridation des formes. La créature composite ou “fantastique” est une image de synthèse créée par la combinaison de formes et/ou d’attributs clés, en nombre variable, empruntés à différentes espèces animales biologiquement existantes. Agrégation plastique et intellectuelle qui, loin d’être le fruit du hasard, recèle une forte logique interne régie par des règles précises. Dans l’art olmèque, nous pouvons classer les créatures composites en trois catégories : les animaux à caractère félin, les animaux à caractère reptilien et les animaux à caractère félino-reptilien.

Les Olmèques, ainsi que d’autres cultures méso-américaines plus tardives, témoignent d’une pratique de destruction et mutilation matérielle des œuvres qui apparaît comme un acte délibéré. Parfois, il s’accompagne de l’ensevelissement des pièces : vers 900 avant J.C., San Lorenzo fut abandonné, les monuments furent mutilés et défigurés, puis ensevelis rituellement en longues files dans les terrassements. La coutume s’étend à d’autres sites : La Venta, Laguna de los Cerros, El Manatí ou encore Chalcatzingo.
C’est l’art monumental qui a, tout particulièrement, fait l’objet d’une destruction (stèles, autels, bas-reliefs, têtes colossales, rondes bosses...).
Diverses méthodes ont été employées :
  • brisement : les pièces ont été fracturées en deux ou plusieurs fragments, c’est le cas de certaines stèles. D’autres monolithes, comme les autels, ont été abîmés à des degrés différents. La partie endommagée peut se limiter aux arêtes du bloc parallélépipédique ou recouvrir des parties entières, notamment la face. Les pièces taillées en ronde-bosse, aux effigies anthropomorphes, zoomorphes ou hybrides, ont été décapitées. À signaler, la destruction de certains éléments architecturaux, comme les colonnes.
  • effacement : les pièces ont été détruites au moyen de perforations plus ou moins profondes. Il s’agit soit d’un martèlement de surface, soit de véritables sillons affectant des formes variées. La face et la partie arrière des têtes colossales ont été dégradées avec de sillons circulaires, au nombre variable. Concentrées ou parsemées sur la surface, ces dépressions affectent l’œuvre à différents degrés. Des niches rectangulaires, sorte de cuvettes, ont été parfois méticuleusement entaillées. Sur certaines pièces de San Lorenzo, El Manatí ou La Venta, on observe une série de stries.
En conclusion, il est important de souligner la variété des mutilations en usage chez les Olmèques. Le soin et l’exactitude de ces marques suggèrent qu’elles soient l’œuvre de mains habiles (vraisemblablement d’artistes-artisans) et qu’elles aient été infligées au moyen d’outils en pierre, sans avoir recours à des techniques de destruction par le feu.
Un aussi large éventail présuppose une différenciation sémantique. En effet, chaque type de destruction revêt très vraisemblablement une signification particulière.
David Grove propose trois hypothèses interprétatives :
  • l’acte de mutilation est un acte rituel en liaison avec le calendrier comme le sera, des siècles plus tard, la fête du Feu Nouveau chez les Aztèques-Mexicas
  • l’acte de mutilation intervient au moment d’un changement de gouvernement dynastique
  • l’acte de mutilation se produit au moment de la mort d’un "chef". Les monuments qui dépeignent ou s’associent symboliquement au dignitaire sont détruits, puis enterrés.

Il faut reconnaître une étroite parenté entre la pratique de destruction et celle de recyclage de monuments en pierre. Dans la littérature archéologique, ces deux domaines, aux frontières mal définies, font parfois l’objet d’un amalgame. La pratique de recyclage est également un acte délibéré qui prévoit obligatoirement la destruction de l’œuvre. Cependant, cette modification ne constitue pas une fin en soi. Il s’agit, en effet, d’une étape intermédiaire dans un long processus de travail qui vise à préparer la pièce à sa ré-utilisation.
La pratique de recyclage des œuvres, mineures et monumentales, est bien attestée. Nous l’avons dit, elle comporte parfois des modifications, plus au moins conséquentes.
De manière schématique, on peut distinguer trois cas de figures :
  1. œuvres d’art remaniées par les Olmèques. Pour l’art mobilier, citons l’offrande 4 de La Venta. Il s'agit d'une scène rituelle composée de six haches enfoncées dans le sol à l’instar de stèles en miniature (quatre d’entre elles portent des dessins incisés) et de seize statuettes disposées en demi-cercle. Parmi les six “stèles”, deux, si jointes, forment un seul objet : une hache pétaloïde gravée, dont les perforations indiquent qu’elle doit être considérée dans le sens de la longueur et qu’elle servait, à l'origine, de pendentif ou pectoral. La pratique est récurrente dans l’art monumental. C’est le cas, par exemple, d’anciens autels-trônes nouvellement sculptés en forme de têtes colossales. Le processus inverse, visant cette fois-ci à transformer une tête en autel-trône, a été observé sur le site de Takalik Abaj (Guatemala) par Graham. Les résultats des fouilles de San Lorenzo ont confirmé cette coutume. Des ateliers de recyclage de monuments en pierre ont été découverts ; l’activité semble avoir été contrôlée, socialement et physiquement, par l’élite. Preuve en est, la localisation sur le site d’un atelier (Groupe D), situé à proximité du "Palacio rojo", résidence des gouverneurs. Ann Cyphers explique la pratique par un souci de parcimonie : volonté de non-gaspillage d’un matériau “exotique” ( le basalte, en provenance du massif montagneux de Los Tuxtlas au Veracruz, présuppose un transport à longue distance et, par conséquent, une dépense en énergie considérable). À ces raisons pragmatiques, il faut ajouter, croyons-nous, des composantes symboliques. Celles-ci jouent un rôle prépondérant dans la pensée de l'ancien Mexique. Selon une perception cyclique du temps, l’acte de recyclage peut être considéré dans l’optique des rites de régénération qui sont régis par le principe mort-renaissance. Nous verrons que l’ensevelissement des œuvres d’art, à l’instar de la mutilation, s’insère dans cette même perspective de telle sorte à resserrer les liens sémantiques entre l'acte de recyclage, d’une part, et les pratiques de destruction-ensevelissement, de l’autre.
  2. œuvres d’art remaniées par d’autres cultures. Les modifications sont également attribuables aux cultures méso-américaines tardives. C’est le cas d’objets olmèques réutilisés par les Mayas. C’est ainsi que la célèbre statuette de Los Tuxtlas, à effigie d’un homme-oiseau, est incisée de glyphes mayas. Le pectoral olmèque qui représente un were-jaguar, en provenance du Yucatan, porte au verso, l’image d’un dignitaire accompagnée d’une dédicace glyphique (Dumbarton Oaks, Washington).
  3. recyclage des œuvres d’art sans remaniement. L'usage de réintroduire des pièces dans des contextes tardifs a été attesté à des périodes différentes. C’est ainsi que l’on peut trouver des pièces olmèques dans des dépôts d'offrandes d'époque tardive. Retenons, ici, un seul exemple : le très beau masque olmèque mis au jour au sein du Templo Mayor dans le centre historique de Mexico. À l’origine de cette pratique, et au-delà de l’attrait pour les "antiquités", il faut souligner le souci constant, chez les Aztèques-Mexicas, d’établir une filiation avec les cultures méso-américaines plus anciennes.

La réalisation d’artefacts chez les Olmèques peut s’accompagner d’un acte d’enfouissement. Deux procédés sont attestés.
Dans le premier, des œuvres d’art intactes sont enterrées, dans le second, les pièces sont détruites avant d’être ensevelies. Dans les deux cas, des arguments rationnels ne suffisent pas à expliquer cette démarche empreinte de sacralité.
Le cas le plus spectaculaire est celui des offrandes massives de La Venta, dont les trois mosaïques au dessin codifié. La pratique de l’ensevelissement montre clairement la volonté d’éloigner l’art de tout regard humain. De manière générale, envisageons la dépense en énergie humaine et en matériaux que ce travail a requis : les matériaux constitutifs sont soit absents du site de La Venta (argile, basalte), soit introuvables sur la côte du Golfe (jade-jadèite, néphrite, serpentine...). Il est donc surprenant que l’on ait consacré autant d’effort à rechercher, transporter, tailler une quantité aussi importante de matériaux, dont des pierres précieuses, pour les enterrer. Cet acte délibéré reflète des préoccupations religieuses profondes. Il peut être interprété comme une offrande adressée à la Terre Mère nourricière, sorte d'échange entre l’homme et ses procréateurs.
La pratique de l’enfouissement ne se limite pas aux offrandes massives. Elle inclue l'art mobilier comme en témoignent les caches souterraines. Cela est particulièrement évident à La Venta, où l’on remarque l’importance d’une ligne centrale caractérisée par une forte concentration d’offrandes, de monuments et de sépultures.
Les Olmèques ont donc été les initiateurs d’une pratique que l’on retrouvera plus tard en Méso-Amérique, notamment chez les Mayas : celle d’enterrer des objets précieux à proximité des monuments, aux pieds des temples, sous les pyramides, etc.
La disposition des offrandes participe à une géographie mythique singulière et répond à des préoccupations d'ordre religieux et cosmologique avec, en toile de fond, des raisons politiques. En effet, les dirigeants prennent possession d'un nouveau territoire qu'ils sacralisent.




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